Sa carte d’identité délivrée par la police de la province de Binh TriThiên (ancien nom des provinces de Quang Binh, Quang Tri et ThuaThiên-Huê actuellement) délivrée en 1979, indique que la Mère héroïneTrân Thi Nguyêt est née en 1890 au village de Phu An, district de HuongPhu, province de Binh Tri Thiên. À l’âge de 122 ans, on peut encore lavoir trotter comme un lapin.
La Mère héroïne a eucinq enfants, quatre fils et une fille. Elle a perdu ses quatre garçonsdans la guerre, sacrifiés dans la résistance anti-américaine. Un lourdtribut... Sa fille, son unique descendance directe désormais, est déjànonagénaire. Ses quatre belles-filles ont toutes plus de 70 ans. Toutessont venues vivre chez Mme Nguyêt lorsqu’elles ont vu leurs maris partispour toujours. «J’ai perdu tous mes fils, mes quatre garçons. Des fois,il m’est arrivé de songer que ma propre mort serait plus douce. Mais,je pensais alors à mes belles-filles, encore si jeunes. Elles m’onttoujours considérées comme leur mère maternelle. Alors, j’ai fait toutce que je pouvais pour tenir, faire face... pour elles», nous raconte ladoyenne.
En 1994, l’État lui a accordé ladistinction de Mère héroïne vietnamienne. Un titre chargé d’honneur...Aujourd’hui, elle a 27 petits enfants au total et près d’une trentained’arrière-petits-enfants. Elle peut même rencontrer ses descendants dela cinquième génération.
En rendant visite à la Mèrehéroïne Trân Thi Nguyêt, force est de constater que la vieille dame seporte comme un charme. Même pas besoin d’une canne... Peut-être est-elleun peu dure d’oreille, mais à son âge, quoi de plus normal ? Selon latradition, elle nous prépare du thé. Son petit-fils Dào Van Doan, 36ans, nous explique : «Malgré son âge avancé, ma grand-mère est encoretrès habile et elle a toute sa tête. Elle peut effectuer tous les menustravaux de la maison. En plus, elle n’a besoin de personne pour satoilette. Pour moi, un détail qui en dit long sur son état de santé cesont ses balades. Chaque jour, elle fait un tour dans le village pourrendre visite à ses proches et ses voisins, sans même prendre appui surune canne». À côté du bétel, elle prend, à chaque repas, deux bols deriz, bien qu’elle n’ait plus de dent. Ses petits plaisirs quotidiens ?Des poissons, notamment ceux pêchés dans la lagune Tam Giang, etquelques légumes. «Toute ma vie est attachée à ce lieu, la lagune TamGiang. J’y vis de la manière la plus simple qui soit. Ainsi, l’estégalement ma façon de manger et de boire». Les gens s’étonnent : cettevielle dame ne demande même pas des mets sophistiqués, chers ou richesen protéines et, à l’âge de 122 ans, elle a encore la pêche. Cettedoyenne sourit. Elle répond avec humour : «C’est parce que je n’aijamais fait de mal à personne !»
Pourtant, sa façonde penser, ses références sont celles d’il y a une trentaine d’années.Alors, elle a parfois un peu de mal à comprendre notre utilisation de lalangue aujourd’hui. Elle se montre particulièrement enthousiastelorsqu’elle peut parler dans le dialecte huéen avec ses visiteurs.
Quand nous lui demandons de nous révéler le secret de sa longévité,elle dit, dans un sourire édenté : «Je suis athée. Mes activitésquotidiennes sont celles de tout le monde. Il n’y a qu’une chose que jegarde constamment à l’esprit, c’est qu’il faut mener une vie pleine debons sentiments. Ainsi, lorsque nous nous rencontrons, nous pouvons rireensemble».
Dans sa jeunesse, la vieille damevendait ses fruits et légumes sur la lagune Tam Giang. Elle a égalementdonné quelques coups de main à la résistance anti-américaine. À cettepériode, elle a connu la torture. Malgré les atrocités de la guerre etles affres de la vie, elle n’a jamais baissé les bras.
Pour l’heure, les seules traces du temps pesant sur elle sont sescourts cheveux blancs et sa peau ridée et rugueuse. Mais lorsqu’on luiparle de ses enfants morts pour la nation, d’autres cicatrices se fontjour. Les larmes coulent encore sur ses creuses joues émaciées. Sonpetit-fils confie : «Chaque 1er et 15e jour du mois lunaire, elle convietous ses descendants à brûler des bâtonnets d’encens sur l’autel de sesenfants. Les minutes et les heures s’écoulent tandis qu’elle restedevant l’autel... comme si elle pouvait encore parler avec ses enfants».La vie ne lui a pas fait de cadeaux. Qu’importe, ce petit bout de femmen’est que générosité. Toujours un geste, un mot pour ses proches...C’est sans doute pour cette raison qu’elle respire encore la santé.
Après l’avoir quitté, nous faisons un petit tour sur Google poursavoir qui est la personne la plus âgée du monde. En 0,12 secondes, nousobtenons 35 résultats. La plupart nous parlent de la vieille dameaméricaine Besse Cooper, 115 ans. Le Guiness Book l’a reconnue l’andernier. Toutefois, une autre dame vietnamienne, Nguyên Thi Trù, âgéepour sa part de 118 ans, a aussi été désignée doyenne de l’humanité, lamême année, par le Livre des records du Vietnam. Ainsi, si l’âge marquésur la carte d’identité de la Mère héroïne Trân Thi Nguyêt s’avéraitexact, elle serait sans doute l’aînée des ces deux doyennes. Nous nepouvons donc que souhaiter une longue vie à ce grand coeur qui a déjàbien battu. – AVI