L’île Trân : sublime terre du bout du monde
Sur la carte du Vietnam,
l’île Trân, district insulaire de Cô Tô, province de Quang Ninh (Nord),
donne l’impression de n’être qu’une graine de sésame sur une grande
galette de riz. Sur cette île coupée du monde, un foyer y a élu
domicile, et vit aux côtés des soldats.
L’île Trân est
à seulement 60 milles marins du chef-lieu de Hon Gai (ville de Ha Long
aujourd’hui), province de Quang Ninh. Mais s’y rendre s’apparente à un
parcours du combattant. Huit heures sont nécessaires, en empruntant
successivement voiture, moto-taxi, canot à moteur qui nous emmène sur
une autre embarcation, sans oublier un peu de marche à pied…
Ouf ! Nous y sommes ! Et force est de constater que cela valait le coup
: ciel azuré, eaux cristallines, cadre paradisiaque... Sur cet îlot
d’environ 4,5 km², l’on distingue une unité de l’armée en pleine plongée
d’entraînement pour être apte à défendre à tout moment le pays et ses
îles. Ces hommes font partie du bataillon de l’île Trân.
À l’image des autres îles du pays, les conditions de vie sur l’île Trân
sont difficiles, voire hostiles. Ici, l’eau salée est omniprésente et
l’eau douce la plus précieuse des ressources. Les vagues déferlent
parfois dans un vacarme assourdissant, et la température en hiver -
conjuguée aux embruns dispersés par les bourrasques qui rognent tout sur
leur passage - n’incite pas à mettre le nez dehors. Isolés de la terre
ferme, les soldats font, bon an mal an, ce qu’ils peuvent pour se
débrouiller et vivre normalement en élevant des volailles, du bétail, en
cultivant des légumes et même des herbes médicinales, parfois bien
utiles.
L’île à l’enfant
Adossée sur le flan d’une
montagne, à environ un kilomètre du QG du bataillon de l’île Trân se
dresse la petite bicoque d’un couple de pêcheurs, les seuls résidents
permanents des lieux. Le mari, Hoàng Van Hiên semble taillé pour la
rudesse de l’environnement qui l’entoure, avec son physique de samouraï.
Une impression de force tranquille sublimée par son timbre de voix,
très doux. Lui et son épouse, Nguyên Thi Canh se sont rencontrés lors
d’une session de pêche en mer, puis se sont mariés peu après. C’est en
2005 que le couple a décidé de s’installer durablement sur l’île Trân,
décision qui n’a pas fait l’unanimité auprès de ses proches et amis.
Seul le beau-père de Hiên semblait ravi ! Au début, le couple vivait
dans une petite cabane. Lors des périodes de gros temps, les soldats
affectés sur l’île les invitaient à séjourner avec eux. Puis, le couple a
érigé une petite maison, bien aidé par ses voisins militaires. Une
maison qui a vu naître un petit garçon, l’a vu grandir et faire ses
premiers pas, prononcer ses premiers mots... Le petit Hoàng Nguyên Viêt
Anh a aujourd’hui quatre ans. Le premier enfant du couple est lui sur le
«continent», élevé par ses grands-parents.
Lorsque
son mari prend la mer, Canh s’occupe de son fils à la maison. Elle lui
enseigne l’alphabet et d’autres connaissances en s’aidant des supports
pédagogiques qu’elle reçoit du «continent». Elle élève aussi des
volailles, part ramasser des coquillages afin de revendre ces produits
et ceux ramenés du large par son époux, dont les recettes lui permettent
d’acheter d’autres denrées alimentaires. Après plusieurs années coupé
du monde, le couple a construit une maison en dur, acheté un générateur
et un frigo pour s’assurer de tout le confort nécessaire.
Le couple est à contre-courant de ce phénomène qui veut que la plupart
des gens se ruent vers les centres urbains dans l’espoir d’une vie
meilleure. Un choix qui s’avère payant, puisque, comme on l’a vu, ils
sont en parfaite autosuffisance. Par ailleurs, dans la mesure où ils
sont l’unique famille sur l’île, ils accueillent leurs voisins soldats
lors des moments «spéciaux» de l’année, Têt traditionnel en tête. À
chaque réveillon, Canh leur prépare un banquet et les invite à venir
chez elle pour le xông dât , qui marque la venue des premiers
visiteurs dans la demeure.
Pour nous recevoir, Canh a coupé une
pastèque, qui nous a fait immédiatement penser en la mangeant à cette
légende populaire contant l’histoire d’un prince exilé sur une île
déserte qui, courageux et sûr de lui, est parvenu à s’établir en
cultivant des pastèques.
Selon un projet, d’ici 2013, la province
de Quang Ninh va mobiliser de 12 à 15 foyers pour s’installer sur l’île
Trân et y fonder deux communes relevant du district insulaire de Cô Tô.
Un nouveau voisinage en perspective qui n’est pas pour leur déplaire,
même si tous deux - et leur bambin - ne changeraient leur mode de vie
pour rien au monde. – AVI