Il était une fois... l’artiste de ca trù Nguyên Phú De
Né à Cao La, le
berceau du ca trù (chant des courtisanes) de Hai Duong (à près de 60
km de Hanoi), le nonagénaire Nguyên Phú De se consacre encore à la
pratique de cet art vocal en voie de disparition, et à sa transmission
aux jeunes générations. Rencontre.
À Cao La, un
hameau du district de Tu Kỳ, province septentrionale de Hai Duong, le
chanteur Nguyên Phú De est un vieil homme encore leste et sagace.
Aujourd’hui nonagénaire, il était vraisemblablement prédestiné à la
musique. Son père était instrumentiste, sa mère chantait le ca trù .
Difficile donc d’y échapper.
À 10 ans, le petit De et son
grand frère savaient déjà jouer du đàn đáy , luth à trois cordes, dont
le manche est considéré comme le plus long parmi tous les instruments de
musique connus dans le monde. «Cet instrument est transmis depuis cinq
générations dans ma famille. Je suis la 4 e », partage-t-il.
Selon
l’artiste, pour acquérir le statut symbolique de đào kép
(professionnel reconnu par ses pairs), l’apprenant doit faire preuve de
la plus grande détermination et d’une persévérance sans faille. Cinq ans
de formation sont véritablement nécessaires pour pouvoir saisir les
techniques d’exécution du đàn đáy . «Mais pour les notes difficiles,
il faut poursuivre toujours les études en vue d’une bonne maîtrise»,
confie Nguyên Phú De. Quant aux femmes qui l’accompagnent, elles
chantent et jouent du phách (planchette de bois sur laquelle on frappe
avec des baguettes de bois). Ainsi, pour devenir đào n ươ ng
(chanteuse professionnelle), elles doivent disposer d’un champ de
connaissances suffisant. C’est la première étape. Par la suite, si elles
sont capables d’interpréter tous les genres de hát c ử a đình
(chant devant la maison communale et les temples du village), elles
obtiennent le «grade» de cô đ ầ u (chanteuse de profession).
De son côté, Nguyên Phú De est expérimenté dans chacun de ces savoir-faire.
Une passion retrouvée
À
15 ans, il se distinguait déjà comme un interprète pas tout à fait
comme les autres. Il consacrait la moitié de l’année aux travaux
agricoles, et le reste à sa carrière artistique. Il partait en tournée
dans différentes villes et provinces voisines de Hai Duong comme Hanoi,
Hai Phong, Thái Bình, Hung Yên et Hà Nam. À l’époque, il était populaire
de faire venir des chanteurs de ca trù pour animer les cérémonies de
mariage, et Nguyên Phú De était souvent sollicité. Parfois, ses concerts
accompagnaient les convives toute la nuit, jusqu’au lever du jour.
Entre 1946 et 1995, et notamment pendant la guerre, il a dû
laisser de côté la musique pour se vouer aux travaux des champs. Un
demi-siècle pendant lequel il n’a rien écrit, ni rien composé. Le đàn
đáy s’est alors transformé en simple passe-temps.
Au milieu des
années 1990, le ca trù connaît un nouvel élan et Nguyên Phú De décide
de s’y remettre. Comme un vieil ami qu’on a un peu négligé, enfermé
dans la routine et les difficultés de sa propre existence, il va
reprendre son instrument et essayer de lui donner une seconde vie. «Mon
objectif était de le transmettre aux générations futures. Mais
jusqu’ici, cet art oral n’avait quasiment jamais été transcrit. La
première chose à faire était donc de coucher sur papier les paroles et
les mélodies» , confie le nonagénaire.
Le défi de transmission
Le
hameau de Cao La est considéré comme le berceau du ca trù de Hai
Duong. Cependant, aujourd’hui, seuls les anciens continuent d’en jouer,
et à des occasions exceptionnelles. Autrefois populaire, les jeunes
générations le regardent désormais avec indifférence, et son avenir est
particulièrement sombre. Face à la réalité de ce constat, Nguyên Phú De
cherche sans relâche des étudiants motivés.
Il regrette qu’aucun
de ses enfants ne lui succède. Seule une petite-fille maternelle a
décidé se lancer. Elle est membre du Club de ca trù de Cao La, composé
de 20 adhérents, formés par le nonagénaire.
Par ailleurs,
actuellement, il enseigne à plusieurs élèves dans sa province et dans
d’autres localités. Parmi eux, le peintre Pham Dinh Hoàng et la
chanteuse Pham Thi Huê. Ses deux meilleurs éléments parmi une
cinquantaine de personnes qui ont suivi ses cours de formation. Le
premier a rencontré Nguyên Phú De dans la capitale, alors que ce dernier
donnait un concert chaque samedi. Leur collaboration a duré six ans à
Hanoi. Si le maître est aujourd’hui rentré dans sa province natale, il
enseigne toujours à Pham Dinh Hoàng, à domicile. De son côté, la
chanteuse Pham Thi Huê a sorti un opus en duo avec son professeur, «Ca
trù Singing house».
Voilà près d’un siècle que Nguyên Phú De
participe, à son modeste niveau, à la préservation de cet art vocal
savant. «Le ca trù risque de disparaître. J’ai déjà transmis ce métier à
une trentaine d’élèves excellents, c’est un premier espoir. Mais
j’aimerais que l’État remplisse sa part du contrat et mette en place des
formations plus officielles». - VNA