Une collection jamais vue au Vietnam comme dans le monde. En dix ans, Nguyên Thi Minh Hiêu s'est appliqué à réunir plus d'un millier de moulins en pierre (côi xay da en vietnamien).

Cet instrument rudimentaire qui était autrefois omniprésent dans la campagne est devenu désuet de nos jours. Malgré tout, il "renferme en soi toute une philosophie de vie", selon cette jeune femme issue d'une famille paysanne.

Le village de Ngoc Hôi, commune de Vinh Ngoc, ville de Nha Trang (Khanh Hoà, au Centre), doit sa renommée insolite au "jardin de moulins en pierre" de Nguyên Thi Minh Hiêu. Un vaste espace clos dans lequel pousse une végétation luxuriante et où sont disposés dans un ordre bien précis, en fonction de leur taille et de leur âge, bon nombre de moulins en pierre. Le plus grand d'eux mesure un mètre de diamètre au niveau de la meule inférieure (partie la plus large du moulin) et le plus petit, environ 10 cm. Le reste oscillant entre 30 et 40 cm.

La disposition du "jardin de moulins en pierre" s'avère elle aussi originale, créant des décors bizarres. Dans un coin, les moulins sont placés les uns sur les autres, du plus grand au plus petit, formant des "colonnes" à raison de quatre ou cinq unités chacune. Dans un autre coin, ils sont arrangés de manière à former une sorte de cascade. Ils bordent encore des allées couvertes de cailloux, ou agrémentent des gazons...

Le côi xay da est en effet une broyeuse manuelle, composée de deux meules en pierre posées l'une sur l'autre et liées par un petit pivot. Son maniement est simple mais demande de la force et de la patience : se plaçant devant le côi xay da, on laisse des grains de riz ou de soja (déjà imbibés d'eau) dans la meule supérieure, fait pivoter à la main celle-ci sur la meule inférieure tout en y ajoutant des gouttes d'eau, de laquelle sort petit à petit une farine onctueuse. C'est de la "matière première" pour la production du banh uot (tarte de riz cuite à vapeur), du bun (vermicelle de riz) ou du dâu phu (fromage de soja).

Instrument désuet, image vivante

"L'image du moulin en pierre est intimement liée à mon enfance. En effet, cet objet a été un gagne-pain important pour ma famille comme des autres membres du village", confie Minh Hiêu. Cette femme de 33 ans est originaire de Diên Khanh (province de Khanh Hoa), une région rizicole fertile où est exercé par ailleurs un métier d'appoint : la production du banh uot et du bun. Un métier rentable pour lequel le moulin en pierre est un instrument indispensable. Minh Hiêu garde la nostalgie du temps passé où sa grande mère et sa mère maniaient tous les jours ces lourds moulins, où elle et ses frères se lançaient dans des jeux d'enfant amusants en tournant autour des moulins installés dans la cour de la maison.

Le temps s'écoule vite. Le moulin en pierre n'existe plus dans la vie moderne de nos jours. Mais, l'image de cet instrument désuet demeure vivante dans la mémoire de Minh Hiêu. L'idée de faire une collection de moulins lui est passée par la tête lorsqu'elle avait 20 ans. Elle se rappelle : "Je me suis mariée à l'âge de 21 ans. Alors, ma grande mère a voulu m'offrir quelque chose comme dot. Devant sa proposition, je lui ai répondu sans hésitation : des anciens moulins". Avec ces anciens côi xay da entassés jusque là dans un coin du jardin familial, elle a commencé à établir sa collection inédite. Minh Hiêu se livre depuis à la recherche de broyeurs en pierre surannés. Elle a profité de tous ses séjours de vacances pour voyager partout où elle entendait parler de l'existence des anciens moulins. Des voyages intéressants qui l'ont amenée dans diverses localités du Nord au Sud, telles Cao Bang, Phu Yên, Binh Dinh, Da Nang, Long An... Et à l'issue desquels elle ne rentrait jamais bredouille. "Il y a parfois des familles qui voulaient garder leurs moulins comme souvenir. Mais, après que je leur aie expliqué mon projet, elles étaient ravies d'y apporter leur part", dit-elle avec un sourire. Et d'ajouter qu'en revoyant le "jardin de moulins" après chaque voyage, "la fatigue semble se dissiper". Côi xay da - parfum de la campagne

Après dix ans d'efforts, le jardin de moulins de Minh Hiêu a dépassé la barre des mille objets. D'ordinaire, ces instruments rudimentaires ne sont pas marqués de date de fabrication. Ce qui rend difficile le travail d'identification de leur âge. À l'exception de ces deux cas où la date est gravée sur la pierre : le premier date de 1938, et le second du 20 octobre 1986. Pour Minh Hiêu, ces objets surannés sont devenus désormais une partie indispensable de sa vie. "J'ai aperçu là le parfum singulier de la campagne. De plus, chaque vieux +côi xay da+ cache en soi tant de secrets à découvrir", explique-t-elle. Mieux que personne, elle connaît des caractéristiques de ces vieux moulins. Le moulin peut avoir ou non un "oreille" (partie saillante de la meule supérieure où l'on enfonce une poignée en bois servant le maniement de l'instrument). D'ordinaire, il est taillé à partir d'une roche entière, de couleur grisâtre. Il y a parfois des moulins en granit, de couleur jaunâtre ou gris foncé.

"Le moulin n'est pas un simple objet inanimé, exprime Minh Hiêu. Taillé par l'homme, il est utilisé par la femme. En pivotant le moulin durant de longues heures, celle-ci semble y confier ses pensées, ses joies et ses peines". Avec les yeux d'un "philosophe", elle trouve dans le moulin (composé de deux meules) l'image de la vie conjugale d'un couple dont la femme doit être la meule inférieure. "La concorde parfaite des deux meules permettra à la machine de fonctionner à merveille. C'est comme la bonne entente des deux époux qui leur permettra de faire leur chemin", argumente Minh Hiêu. "Dans l'image du moulin, je découvre des vertus admirables de la femme vietnamienne : fidélité, patience, assiduité, sacrifice, résignation et tolérance".

Outre le moulin manuel, il y a encore dans la campagne vietnamienne d'autres instruments en pierre, dont le mortier à riz (côi gia gao en vietnamien, destiné au polissage du riz). Il est certain qu'il reste encore des mystères à découvrir. - VNA