Le rythme dans la peau au cœur du village de Bao Dap
La majorité des résidents du village de
Bao Dap sont catholiques depuis des générations. Ils vivent
essentiellement de la riziculture et de la fabrication de lanternes
papier en forme d’étoile, qu’ils dessinent exceptionnellement chaque
année pour la Fête de la mi-automne (au 15e jour du 8e mois lunaire).
Riches ou pauvres, ces villageois ont également un autre point commun,
moins habituel celui-ci : leur passion pour la musique. Tous sont
polyinstrumentistes. Chaque jour, les adultes - après les travaux
champêtres -, et les enfants - après l’école -, rentrent chez eux, se
saisissent de leur compagnon d’évasion, et vont chercher leurs camarades
pour se détendre avec allégresse au son des guitares, des violons, des
luths, et autres trompettes.
Ainsi, il est fréquent
de rencontrer des fillettes de 6 ans jouant du violon, du "dàn tranh"
(cithare à 16 cordes), ou du piano ; des garçons d’une petite dizaine
d’années maîtrisant la trompette ou le tambour ; ou encore des
vieillards malades presque alités qui ont fait de leur instrument un
livre de chevet.
Afin de trouver une cohérence à
son travail, cette joyeuse troupe s’est divisée en deux groupes
distincts : les personnes âgées d’un côté avec 60 joueurs de tambours et
un chœur de 100 instrumentistes spécialisées dans la musique
traditionnelle ; et les jeunes de l’autre, rassemblés par instruments
(40 violonistes, dont 16 de haut niveau, 25 joueurs de "dàn tam thâp
luc" (cithare à 36 cordes), 12 de "dàn tranh" (cithare à 16 cordes), 18
pianistes, 15 mandolinistes.
Des trompettistes en bottes
Toutefois, la plupart des jeunes filles savent jouer de l’orgue, et la
majorité des hommes connaissent un ou plusieurs genres des trompettes.
Parmi eux, cinquante sont reconnus comme des professionnels. Ils se
produisent, après les travaux des champs, partout dans la région, et ce
depuis des dizaines d’années.
Nguyên Van Diêm fait
partie de la 3e génération de trompettistes du village. Il en possède
une vingtaine, de toutes sortes et de toute taille, qu’il manie avec la
plus grande dextérité. La plus petite a la taille d’un manche de
couteau, la plus grande de la taille d’une armoire. «Dans la journée,
nous sommes des paysans comme les autres. Mais nous nous retrouvons
souvent le soir pour répéter et préparer les fêtes de villages. C’est
notre récompense», raconte M. Diêm.
L’homme est
aussi un professeur prestigieux dans le village et enseigne trois fois
par semaine. Certains de ses élèves ont tout juste l’âge de raison,
d’autres ont perdu leurs dents mais ont atteint la sagesse. En été, sa
cour est ainsi remplie de rires d’écoliers qui profitent des vacances
pour perfectionner leur niveau.
Tradition catholique
Expliquant l’origine de cette passion, plusieurs anciens nous
rappellent que ce village catholique a accueilli des générations de
prêtres, et que tous étaient de bons instrumentistes. Ils ont transmis
cette passion à leurs paroissiens. Le père Pham Xuân Thi est le gérant
actuel de l’église du village. La musique est pour lui comme une seconde
peau. Ses connaissances en musicologie sont vastes et il est capable de
jouer de différents instruments, de la musique traditionnelle à la
musique moderne (piano, orgue, violon), comme plusieurs de ses
prédécesseurs.
Actuellement, il donne chaque jour
quatre cours d’orgue, de violon, de piano, et de luths à des jeunes de 6
à 17 ans. «Ils ont le sens de la musique. Ce n’est le cas chez tous les
jeunes qui apprennent un instrument. C’est pourquoi ils apprennent très
vite», remarque le curé. Et dans ce village pas tout fait comme les
autres, les enfants de chœur sont nombreux à avoir dépassé la majorité
depuis bien longtemps. Ils sont une centaine en tout à ainsi répéter
chaque dimanche pour préparer la messe hebdomadaire. «À travers la
musique, j’espère transmettre l’honnêteté et le partage», confie M. Thi.
En dépit des difficultés de la vie quotidienne,
les villageois de Bao Dap restent assez optimistes. La localité est
paisible et les conflits de voisinage rarissimes. Après tout, la musique
adoucit les moeurs. - VNA