Sa Pa, Spa et bien-être
Niché sur les flancs d’une montagne à quelques encablures de Sa Pa, le
«Spa de Ta Phin» n’attire guère le regard du voyageur de passage. Juste
une construction peinte en blanc, à la toiture en fibrociment. Avec
cette inscription bilingue en vietnamien et anglais : «Compagnie par
actions des produits de Sa Pa. Adresse : village de Ta Chai, commune de
Ta Phin, district de Sa Pa , province de Lào Cai».
Un lieu modeste donc, qui attire pourtant une clientèle nombreuse,
composée aussi bien de connaisseurs que de curieux. Tout le monde
ressort ravi du Spa de Ta Phin. «Good ! Very good !», lance un étranger
ventripotent en caleçon, pouce levé.
Le directeur du
Spa, Ly Lao Lo, est un jeune paysan autochtone qui n’a suivi aucune
formation professionnelle. Intelligent de nature, il a su valoriser un
remède de grand-mère pour en faire un produit touristique. La tradition
de l’ethnie Dao Rouge veut qu’un bain d’eau chaude dans laquelle
macèrent des plantes médicinales renforce la santé.
Ly Lao Lo s’est intéressé dès son plus jeune âge au «bouillon d’herbes»,
comme il l’appelait quant il était gamin. «Ça donne de la force. Avec
ce bain aux plantes médicinales, on a une santé de cheval», lui explique
un jour son père, expert local des plantes médicinales, que le
garçonnet a beaucoup suivi en forêt. À dix ans, Ly Lao Lo pouvait
reconnaître des dizaines d’espèces, et surtout distinguer les toniques
des nocives.
Ly Lao Lo s’est taillé au fil des
années une réputation de «spécialiste des bains aux herbes». Il est même
l’un des derniers dépositaires de ce savoir ancestral. Pour chercher
ses plantes dont certaines sont devenues rares à cause de la cueillette
excessive, Ly Lao Lo doit s’enfoncer dans la forêt et aller là où
personne n’ose s’aventurer. Selon lui, «c’est une sorte d’eau bénite que
le Ciel nous a donnée, à nous les Dao Rouge. Si nous ne l’utilisons
plus, elle nous quittera pour retourner au Ciel».
La
naissance de ce Spa, il y a quelques années, a revigoré cette commune
reculée. Les visiteurs, vietnamiens et étrangers, y sont d’année en
année plus nombreux. En plus du Spa, ils achètent des produits
d’artisanat local, parfois restent la nuit en «homestay». Le directeur
Ly Lao Lo n’a plus de temps libre. «Je suis beaucoup plus occupé
maintenant que lorsque je travaillais aux champs. Mais, je suis content
d’accueillir des gens ici et de les rendre heureux avec mes bains»,
confie-t-il. Chaque jour, il quitte sa maison à potron-minet et rentre
quand il fait nuit noire. Il a beau être le chef, il met la main à la
pâte, aux côtés de ses employés, pour chauffer l’eau et préparer la
précieuse mixture. «Un bain ne doit durer que 15-20 minutes au maximum.
Sinon, il y a le risque de faire un malaise», explique le patron. Le
travail de préparation d’«eau bénite» fini, il s’enferme dans son
«labo», une salle à côté qui porte un écriteau également bilingue :
«Không phân su miên vào - No entry».
Certaines
recettes sont destinées à des cas particuliers : femmes enceintes ou qui
viennent d’accoucher, nouveau-nés, malades, vieillards…Ly Lao Lo ne
prépare pas seulement des bains pour ses visiteurs de passage, il leur
propose aussi d’acheter des bouteilles de sa miraculeuse préparation,
pas pour boire mais pour ajouter dans l’eau de leur baignoire quant ils
seront rentrés dans leur pays natal. «Je veux que mes produits soient
connus au-delà des frontières de Lào Cai», confie-t-il, les yeux
brillants d’une ambition fièrement assumée.
Quand
l’idée d’ouvrir un Spa lui est-elle venue ? C’est lorsqu’il est descendu
pour la première fois à Hanoi. Choc culturel, passage du monde des
rizières en gradins à celui des gratte-ciel. Mais choc salutaire...
L’occasion de se frotter à de nouvelles façons de penser et de concevoir
l’existence, et surtout de découvrir des enseignes «Spa» à tous les
coins de rue !
«C’est grâce aux professeurs Lâm et
On de l’Université de pharmacie de Hanoi que notre Spa a vu le jour»,
avoue le jeune directeur. En effet, leurs travaux de recherche sur les
recettes médicinales des Dao Rouge ont prouvé l’utilité pharmaceutique
du bain aux herbes. Grâce à un soutien financier de l’État, ils ont aidé
les autochtones à créer un petit établissement de bains traditionnels.
Le Spa de Ta Phin fait beaucoup d’heureux. Le
directeur bien sûr et ses quelques hommes de main, mais aussi tout un
contingent de coureur de bois chargé de cueillir les plantes
médicinales. Néanmoins, il est de plus en plus difficile de trouver les
72 espèces de plantes nécessaires à l’élaboration de la potion magique,
selon Ly Lao Lo. C’est pourquoi depuis cinq ans, avec l’aide technique
de l’Université de pharmacie de Hanoi, des plantes médicinales, dont
certaines en voie de disparition, sont cultivées dans la vallée de Sa
Pa.
«Nos efforts ont porté leurs fruits. Notre
village est désormais un des lieux incontournables de Sa Pa, et mon Spa
attire de plus en plus de touristes», s’enorgueillit le directeur, qui a
avoué son rêve ultime : devenir milliardaire ! (en dông, mais ce n’est
déjà pas si mal...). - AVI