Le Parc national de Tràm Chim, dans le district de Tam Nông, province de Dông Thap dans le delta du Mékong, a été reconnu site Ramsar, une reconnaissance dont le mérite revient pour une grande part à ses gardes forestiers dont Trân Thanh Hông

Au crépuscule, le long du canal de Kinh Rach, sous le pont du même nom, commune de Phu Thanh, district de Tam Nông, province de Dông Thap (delta du Mékong), un homme aux cheveux poivre et sel balaie de ses jumelles la vaste plaine. Un long moment s’écoule. Soudain, il s’exclame : «Il y a un groupe de 8-9 individus là-bas, dont deux jeunes ! Je pense que les grues devraient être nombreuses durant cette saison sèche». Trân Thanh Hông, 58 ans, est un des gardiens du parc de Tràm Chim. Il exerce depuis une vingtaine d’années cette mission, avec une passion et un enthousiasme demeurés intacts.

Originaire de la province d’An Giang (delta du Mékong), Trân Thanh Hông s’est établi avec ses parents en 1962 sur une bande de terre à la lisière de Tràm Chim, à la suite d’un affaissement de terrain survenu dans leur village natal, qui avait englouti tous leurs biens. «En ce temps-là, se souvient-il, Tràm Chim était une zone marécageuse impénétrable, accessible seulement en barque».

Après son mariage, Thanh Hông exerce divers boulots pour gagner sa vie. À bord d’une barque, sa petite famille parcourt de long en large la Plaine des Joncs. En 1994, il revient à Tràm Chim et se fait embaucher par le Parc national nouvellement créé. Le suivi des grues à tête rouge, symbole du parc, et espèce emblématique, est une de ses missions. «Avec la grue, j’ai une dette originelle», avoue-t-il. Avec sa paire de jumelles qui ne le quitte jamais, il peut apercevoir de très loin un vol de ces grands échassiers de 2,50 m d’envergure, parfois à des kilomètres de distance, évaluer l’effectif d’un groupe au vol, et reconnaître du premier coup d’oeil les adultes des jeunes. «À la couleur du plumage», explique-t-il.

Selon les autres gardiens de Tràm Chim, Thanh Hông a été le premier d’entre eux à... «porter une grue dans les bras». L’histoire s’est produite il y a dix ans, vers fin mars, sur une prairie où les oiseaux venaient chercher pitance. Thanh Hông aperçoit un jour qu’une grue adulte, de la taille d’un homme, n’arrive pas à prendre son envol. Soucieux, il s’approche de l’échassier privés de rémiges, le capture et l’amène au Centre de protection de la faune sauvage. Selon le vétérinaire, cette grue en période de mue est atteinte d’une maladie du foie. Amenée à Hô Chi Minh-Ville pour y être soigné, l’oiseau ne survit pas. Un peu triste, Thanh Hông se promet alors de s’occuper de cette belle espèce.

Un autre jour, s’apercevant qu’un groupe de grues a déserté subitement un champ, Thanh Hông demande à sa femme d’aller acheter un sac de grains de riz, qu’il disperse dans les herbes. Et de pleurer de joie en voyant le lendemain les oiseaux picorant ses graines.

Outre les oiseaux, le gardien est chargé aussi de protéger les forêts de cajeputiers (presque 3.000 ha) de l’appétit insatiable des coupeurs de bois. Fin 1990, Thanh Hông a été chargé d’assurer une permanence au sommet d’un mirador posé au beau milieu de ce grand massif. Il a accompli cette mission tout seul, durant quatre ans, avec comme arme unique son amour de la nature et son esprit de sacrifice. «Chaque jour, je montais sur la tour pour surveiller d’éventuels départs de feu ou coupes de bois. Et chaque mois, j’attendais avec impatience l’arrivée d’un collègue chargé de m’apporter des provisions. Heureux de réécouter une voix humaine !», se rappelle-t-il.

Actuellement, Thanh Hông se charge d’une autre tâche non moins importante : protéger l’habitat des grues à tête rouge (Grus antigone sharpii). En effet, les habitants locaux ont l’habitude de faire paître leurs buffles dans les prairies de Tràm Chim. Régulièrement, le gardien se rend dans chaque famille pour donner des recommandations, gentilles mais fermes : «Les grues reviennent nombreuses ces derniers temps. Éloignez donc les buffles de Tràm Chim. Ces oiseaux sont très peureux. S’ils s’en vont, notre parc national aura perdu sa moitié : il ne sera plus que Tràm (cajeputier), Chim (oiseau) aura disparu». Et de conclure : «En matière de protection de la nature, la sensibilisation et la persuasion sont souvent plus efficaces que des mesures coercitives». – AVI