En 1959, une patrouille de garde-frontières de la province de Quang Binh (Centre) tombe sur une tribu dépenaillée dans un site isolé de la cordillère de Truong Son. Il s’agit des Ruc qui, un demi-siècle plus tard, figurent dans la liste des dix tribus les plus mystérieuses du monde.


Lorsqu’ils ont été trouvés en août 1959, dans une contrée montagneuse près de la frontière avec le Laos, les Ruc étaient de vrais "hommes des bois" : émaciés, teint cireux, cheveux longs et ébouriffés, avec comme seul "habit" un cache-sexe en écorce. Cette tribu isolée ne dénombrait alors que 11 familles totalisant 34 personnes. Ils s’abritaient dans des cavernes, consommaient du gibier et des végétaux qu’ils cueillaient au jour le jour dans la forêt.


Selon Dinh Thanh Du, chercheur spécialisé en culture d’ethnies minoritaires vivant à Quang Binh, la tribu des Ruc appartient à l’ethnie Chut, une des 54 ethnies du Vietnam. Ils vivaient dans les environnements naturels au cœur d’une jungle isolée, n’avaient aucun contact avec le monde extérieur. Une tribu semi-nomade dont l’économie était basée sur la chasse, la pêche, la cueillette... Elle pratiquait aussi la culture sur brûlis. Pour les hommes, le quotidien se résumait à partir en forêt le matin et rentrer le soir. Leurs aliments préférés étaient la poudre de doac (une plante de montagne) et la viande de singe.


"Ruc signifie l’eau souterraine jaillissant du mont calcaire", révèle le Docteur en linguistique Vo Xuân Trang. Selon lui, depuis des générations, les Ruc ont choisi de s’établir à côté des sources de ruisseaux. Comme d’autres peuplades minoritaires de Quang Binh, comme les Sach, May, Ma Liêng, Arem..., les Ruc sont les descendants lointains d’une tribu préhistorique pratiquant la dialecte Viêt Muong. Pendant la première guerre d’Indochine (1945-1954), ils ont été menacés d’extermination.


La chance leur a souri un jour d’août 1959 lorsque des garde-frontières les ont rencontrés par hasard. Après de longues palabres avec des représentants des autorités de Quang Binh, ils ont été d’accord, à regret pourrait-on dire, de quitter leurs abris naturels pour rejoindre la vie moderne. Fin 1960, les onze familles ont posé les bases de leur premier village, appelé Mo O-Ô Ô, dans une vallée de la commune de Thuong Hoa, district de Minh Hoa.


Plus de cinquante ans se sont écoulés. Ils sont à présent plus de 600, éparpillés dans quatre villages : Mo O-Ô Ô, Phu Minh, On et Yên Hop, cohabitant avec les groupes ethniques Sach, May, Ma Liêng... Si les jeunes s’adaptent plutôt bien au rythme de vie moderne, les personnes âgées ont toujours la nostalgie de leur vie et de leurs coutumes ancestrales. À la saison de la culture sur brûlis, les vieux cherchent à retourner dans leur ancien territoire et y restent parfois des mois.


"Les Ruc ont une vie spirituelle mystérieuse", selon le Docteur Vo Xuân Tong. À la différence de la tradition vietnamienne de pratiquer le culte aux ancêtres, dans l’espoir que ceux-ci protègent les descendants, les Ruc considèrent le mort comme un "esprit maléfique".


Quand ils sont malades, ils ont recours à un chaman qui utilise deux tiges de bambou (de 100 cm et 50 cm), un petit bloc de pierre, un bol d’eau, une soucoupe de fleurs, une bougie, un cheveu du malade... Il marmonne des incantations, en faisant des gestes incompréhensibles. Cela dure une demi-heure environ, avant qu’il donne au malade à boire son "eau bénite". Aujourd’hui encore, malgré la présence de postes médicaux dans la localité, le chaman garde toujours son aura, auprès des anciens notamment.


"Il existe encore chez les Ruc bien des mystères à percer", selon le chercheur Dinh Thanh Du, qui a mis de longues années à démêler l’écheveau de leur vie culturelle et spirituelle, de leurs us et coutumes. Mais presque en vain... "Le travail de recherche est compliqué car les Ruc sont réticents à exprimer le fond de leur pensée", confie le chercheur. Selon lui, à la différence d’autres groupes ethniques prêts à raconter leurs coutumes, leurs activités communautaires, leurs légendes, les Ruc sont taiseux et secrets. "Ces choses sont sacrées et propres à nous seuls", considère un vieillard, qui ne sait sûrement pas que début 2013, son groupe ethnique a été classé dans la liste des dix tribus les plus mystérieuses du monde. -VNA