Les épopées, un trésor des Hauts plateaux du Centre
Jusqu’à maintenant, 801
épopées ( su thi ) du Tây Nguyên ont été collectées et des dizaines
publiées. Mais le su thi des ethnies des hauts plateaux du Centre
risque bien, lui, de disparaître.
Le projet d’enquête,
de sélection, de préservation, de traduction et de publication des su
thi du Tây Nguyên a été déployé de 2001 à 2008. Il a permis de
collecter 801 œuvres, enregistrées sur 5.679 CD (90 minutes/CD). Une
collecte qui en a surpris plus d’un, les historiens - étrangers ou non -
spécialisés dans la culture vietnamienne ayant prévu à l’origine de
réunir environ 200 œuvres littéraires, épopées incluses.
Sur ces
801 épopées, trois sont sous forme de séries : Ot Drông de l’ethnie
M’nông, Dông de Ba Na et Dam Diông des Xê Dang, chacune d’entre elles
comptant une centaine de récits avec une trame commune. Aux dires des
experts, elles sont les plus longues épopées du monde. Plus étonnant, au
Nord du Tây Nguyên, à Kon Tum notamment, on a découvert deux séries des
ethnies Ba Na et Xê Dang, alors que tous s’accordaient à dire que le
su thi était sensé ne pas exister en ces lieux.
Il y a près
d’un siècle, en 1927 exactement, l’administrateur Léopold Sabatier a
découvert le Chant Dam San de l’ethnie Êdê. Aujourd’hui, grâce aux
recherches effectuées dans le cadre du projet d’enquête, de sélection,
de préservation, de traduction et de publication des su thi du Tây
Nguyên, les scientifiques ont affirmé que cette région disposait d’un
véritable «trésor» en ce qui concerne ces fameuses épopées.
La menace de disparition plane
Jusqu’à
maintenant, 75 épopées ont été publiées en bilingue (en langue ethnique
et en vietnamien) et 21 autres le seront bientôt. Un nombre toutefois
limité. Le directeur adjoint du Service de la culture, des sports et du
tourisme de Dak Lak, Truong Bi, chercheur sur la culture du Tây Nguyên,
se montre pessimiste : « Dans quelques années, le +su thi+ aura disparu
de la vie des ethnies du Tây Nguyên ».
Cet art se transmet
oralement, mais les artistes qui le perpétuent sont pour la plupart
décédés. À Dak Lak et Dak Nông, seules cinq personnes peuvent encore
raconter les épopées Êdê, et deux les épopées M’nông. Tous ont un âge
avancé.
Leur traduction et leur transcription phonétique sont un
travail fastidieux, qui devient aujourd’hui presque impossible en
raison du nombre extrêmement restreint d’artistes encore capables de
raconter et de chanter le su thi. Diêu Kâu, la seule personne pouvant à
la fois chanter, raconter et traduire les épopées M’nông, n’est plus,
lui qui avait consacré tout son temps à ce travail, malheureusement loin
d’être achevé...
Les Êdê disent qu’une vie sans gongs est comme
une vie sans riz et sans sel. Après les récoltes, les habitants du Tây
Nguyên organisent dans chaque village une grande fête. L’occasion de
perpétuer ces épopées certes, mais comme plus personne pratiquement ne
les a en tête...
Se mobiliser contre l’oubli
Les chercheurs sur la culture du Tây Nguyên prévoient que d’ici
quelques années, il ne sera plus possible d’étudier les épopées
autrement que par le biais des documents réunis à l’Institut de
recherches sur la culture populaire du Vietnam.
Le
directeur adjoint du Service de la culture, des sports et du tourisme de
Dak Lak, Truong Bi, propose d’ouvrir des classes d’enseignement de
chant et de récitation des épopées, tout en appliquant, en parallèle,
des politiques d’encouragement en faveur des artistes.
Plutôt
que de publier les épopées dans des ouvrages, il paraît plus judicieux
de les enregistrer sur support audio et/ou de les diffuser à la radio.
Autre idée : réaliser des bandes dessinées en vietnamien et en langue
ethnique, puis les mettre dans les bibliothèques des écoles ou les
offrir à des habitants appartenant aux ethnies minoritaires.
Le 7
e art a aussi son mot à dire, car les sujets ne manquent pas, tant le
patrimoine est conséquent et varié. Mais puisque quelques artistes sont
encore vivants pour transmettre cet héritage, il faut en profiter. Ils
sont en effet les mieux à même de remettre les épopées au goût du jour
dans leur village, et de susciter une émulation nouvelle, permettant -
qui sait ? - de faire revivre cette belle tradition.
Récemment,
le Service de la culture, des sports et du tourisme de Dak Lak a soumis à
son ministère un rapport scientifique demandant d’inscrire les épopées
orales de Dak Lak dans le patrimoine immatériel national. Le temps
presse en effet...
Les épopées, futur patrimoine culturel immatériel?
L’épopée orale, «récit ou paroles d’un chant» et «l’action de faire un
récit» est un long poème narrant les exploits historiques ou mythiques
d’un héros ou d’un peuple. L’épopée, qui existe sous forme orale ou
texte, est à l’origine folklorique et l’œuvre d’un seul auteur. Elle se
rattache originellement à une tradition orale, transmise par des aèdes,
des conteurs.
Truong ca Dam San (Chant de Dam San) est la
première épopée du Vietnam connue à l’étranger grâce aux recherches du
Français Léopold Sabatier. À l’heure actuelle, le Vietnam élabore un
dossier sur les épopées orales du Tây Nguyên en vue de les faire
inscrire sur la liste des patrimoines culturels immatériels de
l’humanité. – AVI