La Francophonie vietnamienne
Il y a une décennie, sous l’égide de
l’Association des historiens du Vietnam, a eu lieu à Hanoi un colloque
inspiré par Heinz Schuette, membre du Centre d’études asiatiques de
l’Université de Hongkong et de l’Institut d’histoire de l’Université de
Bremen. Une réunion singulière qui rassemblait, outre quelques
professeurs étrangers entre deux âges, une vingtaine de Vietnamiens de
70 ans et plus, professeurs, juristes, peintres, historiens, docteurs,
sociologues, journalistes, même un ex-colonel, deux anciens ministres et
un pédagogue de 95 ans.
C’est que le thème de discussion
était : «Le syncrétisme culturel parmi les intellectuels franco-phones
du Nord Vietnam : le nouveau siècle a-t-il à apprendre quelque chose de
leurs luttes et de leurs expériences ?» Pour répondre à une telle
question, il a fallu des gens qui avaient eu au moins 15 ou 16 ans à la
veille de la Révolution de 1945 et de la guerre de Résistance 1946-1954,
témoins et acteurs d’une période mouvementée de notre histoire
contemporaine.
Colonisation et acculturation
Il
était un temps où dans le monde, partisans et adversaires de la
colonisation entretenaient une vision manichéenne des choses. Les
premiers alléguaient la Mission fardeau de l’homme blanc à la Kipling.
Les seconds, surtout parmi les peuples colonisés la condamnaient sans
réserve, et pour cause, les crimes du colonialisme. Certains
proclamaient les gains de la période coloniale acquis souvent en dehors
des calculs colonialistes. On n’intégrait pas l’étude des effets du
colonialisme dans le cadre de l’évolution des formes socioculturelles
des sociétés coloniales, évolution due au contact entre des cultures
différentes et qui se serait accomplie avec ou sans la colonisation.
Acculturation Occident-Orient
Aujourd’hui
que la décolonisation est chose faite à l’échelle du globe, toute étude
d’un fait colonial sans esprit partisan doit tenir compte de trois
facteurs : la colonisation, l’acculturation et le rôle des individus qui
pourraient tirer dans un sens ou dans l’autre la colonisation ou
l’acculturation, deux phénomènes d’ailleurs ambigus et souvent
inextricablement mêlés.
En 2014, les étudiants de l’Université de Hanoi ont organisé de nombreuses activités pour fêter la Journée internationale de la Francophonie.
Quelques exemples concrets : dans
le domaine de l’éducation, des autorités coloniales avaient remplacé les
caractères chinois par l’écriture vietnamienne romanisée (quôc ngu) et
le français. L’enseignement franco-annamite visait moins à élever le
niveau culturel du peuple (95% de la population sont restés analphabètes
après 80 ans de colonisation) qu’à faire mieux fonctionner la machine
administrative et à créer un personnel subalterne efficace. Les
réformistes et les révolutionnaires vietnamiens ont su, au début du XXe
siècle, tirer profit de l’écriture romanisée inventée par les
missionnaires européens pour l’évangélisation ; les campagnes
d’alphabétisation ont préparé le terrain pour la libération nationale et
sociale.
La Direction de l’instruction publique de
l’Indochine française a fait rédiger des manuels de langue vietnamienne
(Quôc van giao khoa thu) à l’usage des classes élémentaires afin
d’inspirer aux petits «Annamites» des sentiments de reconnaissance à
l’égard de l’œuvre civilisatrice. Mais les rédacteurs vietnamiens, plus
ou moins imbus de traditions nationales, sont sortis des rails : une
petite partie des textes faisaient l’éloge de la colonisation tandis que
le reste exaltait l’amour du sol natal avec ses anciennes valeurs
morales et la lutte contre les invasions chinoises, ce qui constituait
un appel indirect à la résistance culturelle à l’occupation française.
Ces
manuels ont fait aussi œuvre d’acculturation Occident-Orient en
introduisant des connaissances scientifiques et le style clair et concis
de la langue française. D’autre part, un groupe de scientifiques
vietnamiens a adapté des mots français, chinois et vietnamiens pour
créer un vocabulaire scientifique vietnamien. La poésie vietnamienne,
s’inspirant de l’individualisme du romantisme français, a ouvert des
voies nouvelles. Les exemples ne manquent pas. -VNA