La femme Ê dê, un homme comme les autres
Pour les Ê dê, le
mariage répond à des rituels bien particuliers totalement opposés à ceux
de la majorité Kinh. Ainsi, c’est la jeune fille qui cherche son futur
époux, les enfants portent le nom de leur mère, et l’héritage revient
toujours à la benjamine de la famille.
Quand ils sont en
âge de se marier, les jeunes Ê dê se rencontrent le plus souvent lors
des fêtes de village, des cérémonies religieuses ou pendant les
récoltes. C’est en fait le moment idéal pour les jeunes filles de
trouver un homme susceptible de devenir leur futur mari. Il leur
appartient ensuite de demander à leurs parents si elles peuvent
l’épouser. Dans ce système familial matrilinéaire, l’homme est donc dans
l’attente, et ne peut prendre une telle initiative.
La demande en mariage
Dans
la tradition de cette minorité ethnique, le mariage doit passer par
trois étapes immuables : la demande officielle, le «défi», et l’union
proprement dite. L’accord des deux familles est indispensable. Dès lors,
les parents de la fiancée devront verser une dot au futur mari. Dans
certains cas, ils imposent ce choix à leur fille. La dot sera alors plus
élevée.
Selon A Ê No, 70 ans, doyen du village de Ko
Tam, commune d’Êa Tu, de Buôn Ma Thuôt, province de Dak Lak (hauts
plateaux du Centre), la famille de la fille doit couvrir tous les frais
liés au mariage. Si l’homme accepte la demande, la famille de la fille
organisera un «cortège» uniquement composé de proches, jusque chez lui,
en le prévenant à l’avance.
Selon les traditions, celui
qui parlera au nom de la famille sera un oncle ou un représentant
respecté de ses membres. Ils offriront alors deux cadeaux symboliques
pour marquer cette première rencontre : un coq bien cuit et du riz
gluant soigneusement préparé. Selon le doyen, le premier est un symbole
de bienvenue, tel le plateau de bétel et de noix d’arec dans le mariage
des Kinh (ethnie majoritaire du Vietnam). Le riz gluant, quant à lui,
représente, du fait de sa texture, la force d’un couple qu’on ne pourra
séparer.
Sur place, la famille de l’homme fait semblant
de ne pas être au courant de cette rencontre et demande
traditionnellement à ses visiteurs la raison de leur venue. Tout le
monde discute alors jusqu’à obtenir un accord sur le mariage. Les jeunes
fiancés doivent ensuite déclarer publiquement leur amour réciproque et
s’échanger deux anneaux. En cuivre ou en or, ces derniers sont
considérés comme le témoignage des promesses formulées par le futur
couple.
Alors que les deux familles sont maintenant
satisfaites, celle du futur mari va réclamer sa dot. Habituellement,
elle demande un bœuf ou un buffle, une somme d’argent et de l’alcool. Si
la famille de la fille répond au «défi» de celle du mari, la cérémonie
sera célébrée selon la date fixée par l’accord préalable. En revanche,
si elle n’est pas capable de payer tous les frais exigés, le mariage
sera différé. D’autre part, la cérémonie ne pourra avoir lieu que si la
famille de la fille apporte des preuves de sa richesse.
Le jour J
Les
premières étapes achevées et approuvées par les deux parties, la
cérémonie pourra être organisée. Elle durera deux jours pendant lesquels
on fera venir chanteurs et danseurs. On boira du ruou cân (alcool de
riz à consommer avec un chalumeau de bambou) et les jeunes mariés s’en
échangeront un bol en écoutant les conseils de leurs parents. La famille
de la fille tuera un bœuf et un cochon pour régaler les convives, et un
rituel sera organisé pour «emmener» officiellement le mari dans la
demeure de sa nouvelle épouse. Un maître de cérémonie, un entremetteur,
ou le doyen du village priera les ancêtres pour que la vie du couple
soit heureuse et prospère, et que leurs enfants soient intelligents et
en bonne santé. Les alliances portées par les époux seront offertes par
les oncles de la mariée. Selon A Ê No, la présence du doyen est très
importante, il est témoin du mariage et devra gérer les disputes et
conflits familiaux. Si l’un des deux époux est infidèle, ou s’ils se
séparent pour des raisons irrecevables, il pourra les punir d’une lourde
amende d’une valeur de 5 à 40 millions de dôngs, soit en argent, soit
en bœufs ou en buffles.
Les enfants portent le nom de leur mère
Bien
loin des traditions Kinh, c’est le mari qui habite, une fois le mariage
célébré, dans la maison de la famille de sa femme (demeure commune où
tous les membres vivent ensemble). S’il veut voir ses parents, il doit
lui demander la permission. De plus, lorsque l’épouse se rend au
travail, il doit la suivre avec une hotte. La femme est bénéficiaire de
plus de droits que son mari dans la prise de décisions. Si elle est la
benjamine de sa fratrie, elle est responsable de ses parents, et
l’héritière de la maison et des biens familiaux. Enfin, dans la
tradition des Ê dê, les enfants portent le nom de leur mère. - VNA