Au Tây Nguyên, visages de bois et présence d'esprit(s)
Pour la première fois, en novembre, plus de 30 artisans issus de 6 ethnies minoritaires de la province de Kon Tum - Sedang, Bana, Jrai, Gie-Trieng, Brau et Romam - se sont réunis pour présenter leurs sculptures sur bois.
A Lo, qui est issu de l’ethnie
Romam, une ethnie dont la population n’est estimée qu’à 500 personnes,
est en train de sculpter une statue funéraire. Tout en poursuivant son
travail, il nous explique que des statues de ce genre se rencontrent
dans les tombeaux des Romam, mais qu’elles sont aujourd’hui de dimension
beaucoup plus réduite, eu égard à la pénurie de bois dans les forêts et
au coût. Pour sculpter une belle statue funéraire, il faut travailler
assidûment pendant une semaine, voire un mois, nous explique-t-il, avant
de préciser que dans son village, ils ne sont plus que 7 à savoir le
faire, mais que c’est lui le meilleur.
«Autrefois,
on n’avait pas de ciseau comme aujourd’hui », nous a raconté A Lo. «
On utilisait le couteau, la machette ou la hache pour sculpter les
statues. C’était évidemment beaucoup plus difficile. Quant au bois, les
riches préféraient le palissandre, qui est plus parfumé et plus
résistant. Pendant longtemps, ça n’a posé aucun problème, mais
maintenant! »
Aucun modèle n’est défini, aucune
norme n’est fixée. Du coup, il n’y a pas deux statues identiques : c’est
ce qui fait tout leur charme et tout leur attrait. Comme
l’indispensable savoir-faire artisanal se transmet de génération en
génération et par voie orale, l’avenir de la sculpture sur bois des
ethnies de la province de Kon Tum est aléatoire, pour ne pas dire
compromis. Les vieux artisans chevronnés quittent ce bas monde en
emportant avec eux tous leurs secrets sans avoir pu trouver à qui les
confier. Dans ce contexte, on comprend qu’une rencontre comme celle qui
vient d’avoir lieu était bien plus qu’une simple festivité: une
nécessité absolue, en fait !
«C’est mon père qui m’a
appris à faire ces statues quand j’étais petit », nous a confié A
Pun, de l’ethnie Bana. «Maintenant, il est mort, et moi-aussi, il,
faut que je transmette mon savoir-faire à mon fils qui reprendra le
flambeau lorsque je serai mort.»
Lors de la
rencontre, les Romam ont présenté une oeuvre originale reproduisant une
défense d’éléphant, emblème du pouvoir. Les Banas, quant à eux, ont
montré des figurines masculines et féminines avec leurs organes sexuels
qui font partie du culte de la fécondité.
«Sur le
plan professionnel, les artisans maîtrisent bien la technique», a
fait savoir Truong Cong Thuc, directeur adjoint du centre culturel de la
province de Kom Tum. « Ils essayent tous de présenter les sculptures
les plus subtiles de leurs ethnies respectives. Cette rencontre doit
justement leur permettre de faire montre de leur talent et de faire
vivre un artisanat traditionnel de leurs ethnies.»
S’ils n’y avaient pas été encouragés par les autorités locales, ces
artisans n’auraient jamais quitté leur village pour aller montrer leur
savoir-faire au public. Autant dire que cette rencontre traduit un
énorme effort de la part de la province de Kon Tum pour préserver la
sculpture sur bois qui perdure depuis très longtemps sur les Hauts
plateaux du Centre. - AVI